L’intelligence artificielle excelle aujourd’hui dans la réalisation de tâches bien spécifiques. Les géants des nouvelles technologies rêvent toutefois de connecteurs universaux, capables de lier objets intelligents et assistants virtuels spécialisés pour transformer le quotidien des utilisateurs.
Lorsqu’on évoque l’intelligence artificielle, on pense immédiatement à l’intelligence artificielle générale, soit la capacité à reproduire, voire à dépasser le cerveau humain à l’aide d’un programme informatique. Nombre de titres de presse et de prédictions plus ou moins catastrophistes sont d’ailleurs centrés autour de cette idée. Lorsqu’on remonte aux origines de la technologie, c’est en effet cette volonté qui transparaît.
« L’étude doit se fonder sur la conjecture selon laquelle chaque aspect de l’apprentissage ou de toute autre caractéristique de l’intelligence pourrait être décrit si précisément qu’une machine pourrait être fabriquée pour la simuler. » lit-on ainsi dans le projet de recherche déposé par les scientifiques John McCarthy, Marvin Minsky, Nathan Rochester et Claude Shannon, à l’été 1955. Portant sur une nouvelle façon d’approcher les facultés cognitives humaines avec des machines, il constitue l’un des textes pionniers de la discipline.
Aujourd’hui, cette idée demeure d’actualité, en témoignent des initiatives comme The Human Brain Project ou les déclarations de grands noms de la discipline comme Ray Kurzweil. Mais la majorité des progrès auxquels nous assistons sont plutôt le fait d’intelligences artificielles spécialisées dans un domaine bien précis. « L’intelligence artificielle générale était le but de départ, mais au cours des cinquante dernières années, l’intelligence artificielle a plutôt suivi le chemin de la spécialisation. » affirme ainsi John Laird, ingénieur informatique de l’University of Michigan, dans les colonnes du magazine scientifique américain Popular Science. Cette spécialisation de l’intelligence artificielle est notamment patente sur le marché des assistants virtuels, ces programmes informatiques capables de comprendre et de reproduire le langage humain, ainsi que d’effectuer des tâches pour le compte de leurs utilisateurs.
S’il n’existe pour l’heure aucun assistant virtuel couteau suisse, capable d’effectuer n’importe quelle tâche possible et imaginable, il est en revanche possible de trouver un programme spécialisé pour à peu près n’importe quel type de situation. Dans la sphère automobile, l’assistant virtuel devient ainsi un moyen de contrôler des voitures connectées toujours plus complexes. L’entreprise iNAGO, par exemple, conçoit un programme chargé d’assister le conducteur, afin de lui permettre de jouir pleinement des services hautement technologiques offerts par les véhicules d’aujourd’hui, sans compromettre sa sécurité. La commande vocale permet ainsi de programmer sa destination, lancer une liste de lecture musicale ou encore consulter son agenda sans quitter la route des yeux.
Dans le monde professionnel, l’intelligence artificielle confère à chaque travailleur les services d’un secrétaire personnel. Astro permet de faire rapidement le tri dans ses emails, de repérer les plus importants et de supprimer spams et messages que l’on ne souhaite pas conserver. Findo aider à naviguer parmi ses emails, ses fichiers et son cloud personnel pour y trouver l’information que l’on cherche. Newton et Stella assistent l’individu dans ses recherches d’emploi, Lomi aide les vendeurs professionnels à identifier des pistes potentielles, et Carly les assiste dans la gestion de leurs appels professionnels. Wade & Wendy propose quant à elle un conseiller virtuel pour aider chacun à penser et optimiser l’orientation de sa carrière. Julie Desk automatise la prise de rendez-vous. La liste pourrait continuer à l’infini.
Des assistants virtuels horizontaux
Si tous ces assistants sont spécialisés dans la réalisation d’une tâche bien particulière, c’est parce qu’il est bien plus simple de concevoir un secrétaire focalisé sur une seule tâche qu’une intelligence artificielle omnipotente. Construire une interface conversationnelle efficace représente déjà un travail conséquent, auquel il faut ajouter l’expertise dans le domaine choisi. Pourtant, il existe aussi des assistants virtuels plus généraux, et non des moindres, puisqu’il s’agit de ceux proposés par les grandes entreprises de la toile, Google, Facebook, Apple, Amazon et Microsoft. Ils ont respectivement pour nom Google Assistant, Facebook M, Siri, Alexa et Cortana. S’ils n’ont pas l’expertise de leurs cousins ultra-spécialisés, ils sont en revanche capables d’effectuer un large panel de tâches simples. Leur atout repose sur une intelligence conversationnelle de pointe, une excellente compréhension du langage humain.
Dans le film Her, réalisé par Spike Jonze, le personnage principal, incarné par Joaquin Phoenix, entretient une relation intime avec son assistante virtuelle, un logiciel informatique ultra performant capable de converser comme un être humain, et de réaliser n’importe quel type de service. Cette vision omnisciente de l’intelligence artificielle est un grand classique des œuvres de science-fiction. Dans la célèbre série télévisée Star Trek, le vaisseau Enterprise est piloté par une intelligence artificielle éthérée, présente partout et susceptible d’accéder à la moindre requête de la part de l’équipage. Ce modèle de super-assistant peut-il advenir dans la réalité ? Le suivi de l’actualité récente semble indiquer qu’il s’agit là du but poursuivi par les géants de l’internet avec leurs assistants virtuels généraux, ces derniers étant dotés de capacités conversationnelles toujours plus performantes, et d’un panel de fonctionnalités toujours plus vaste.
Comme il est impossible de tout développer en interne, ces entreprises misent en général sur l’intégration de tierces parties pour perfectionner leurs assistants. On assiste ainsi, depuis quelques années, à une véritable chasse à la dernière start-up innovante parmi les grands acteurs. Deepmind, la succursale de Google célèbre pour avoir conçu le logiciel AlphaGo, était une start-up britannique indépendante avant d’être rachetée par Google, en janvier 2014, pour 500 millions de dollars. Ses recherches sont notamment employées pour perfectionner Google Assistant. Siri, l’assistant virtuel d’Apple, a pu être conçu grâce à l’acquisition de la start-up éponyme, piloté par Steve Jobs en 2010. Facebook, de son côté, a racheté en 2015 la jeune pousse Wit.ai, dont la technologie transforme paroles et textes en données exploitables, pour enrichir son assistant virtuel M. L’entreprise de Mark Zuckerberg vient également tout juste d’acquérir Ozlo. La jeune pousse, qui se définit elle-même comme « un index des connaissances sur le monde réel », propose un agent conversationnel entraîné pour répondre à des questions en tous genres posées par les utilisateurs. De quoi renforcer encore l’assistant virtuel de Facebook. Microsoft n’est pas en reste. En juin dernier, l’entreprise de Bill Gates a racheté Maluuba. Basée à Toronto, cette start-up a mis au point un système d’intelligence artificielle capable de lire et comprendre un texte presque aussi bien qu’un humain.
Mais l’acteur le mieux positionné est sans doute Amazon. Son assistant virtuel, Alexa, a passé en juillet dernier la barre des 15 000 fonctionnalités sur le marché américain, dont plus de la moitié ont été acquises au cours du premier semestre 2017. Et l’entreprise de Jeff Bezos ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Elle continue ainsi de multiplier acquisitions et partenariats.
La vision d’Amazon est claire : faire d’Alexa une interface vocale universelle, régnant sur un vaste écosystème d’objets connectés et combinant les ressources de nombreuses intelligences artificielles spécialisées. Une ambition qui se rapproche de l’intelligence artificielle omnisciente que nous dépeint la science-fiction. Jeff Bezos, le CEO d’Amazon, est d’ailleurs un grand fan de Star Trek. Il a confié s’être inspiré de l’intelligence artificielle du vaisseau Enterprise lors de la conception d’Alexa. « Nous souhaitons qu’Alexa soit partout, qu’il s’agisse de l’interface privilégiée pour interagir avec les objets qui nous entourent. » a affirmé Steve Rabuchin, vice-président d’Amazon Alexa, à Collision. « Nous travaillons avec Ford et BMW pour intégrer Alexa dans leurs véhicules, ainsi qu’avec General Electric et LG autour de la cuisine connectée. Nous voulons également intégrer Alexa aux systèmes d’arrosages pour jardin, aux portes de garage… ». Car Amazon ne limite pas ses ambitions à la maison connectée. Récemment, l’entreprise s’est également associée à Astro, l’assistant virtuel qui permet de mieux gérer sa boîte mail professionnelle…
Une interface universelle
La jeune pousse Viv.ai, rachetée par Samsung en octobre 2016, partage elle aussi cette vision d’un assistant virtuel universel. Bref, le marché fait preuve d’un indéniable dynamisme. « Nous nous dirigeons vers des assistants intelligents plus universels. Il suffit de comparer la situation aujourd’hui à celle des années 1990, avec des agents très limités comme Clippy sur Microsoft Word. Des outils comme Amazon Alexa n’ont pas encore atteint leur plein potentiel, mais il est d’ores et déjà clair qu’ils peuvent faire bien plus qu’une ou deux actions spécifiques. » confie Luke Dormehl, journaliste britannique spécialisé dans les nouvelles technologies et auteur du livre Thinking machines : the inside story of artificial intelligence and our race to build the future (non traduit en français).
L’existence d’un connecteur global, omniscient et susceptible de lier entre eux objets intelligents et assistants virtuels verticaux pourrait totalement bouleverser notre quotidien. Dans le domaine de la maison connectée, il deviendrait possible de parler à son réfrigérateur pour lui demander des idées de recettes à cuisiner en fonction de ce qu’il contient. L’assistant virtuel ferait automatiquement le lien avec un site de cuisine, pour proposer à son utilisateur un panel de recettes adaptées à ses goûts personnels et à son régime alimentaire, en lui indiquant le supermarché le plus proche où se procurer quelques ingrédients manquants, ou encore une bouteille de vin susceptible de bien se marier avec le repas… Dans le monde de l’entreprise, les possibilités sont vertigineuses. On se retrouverait avec un véritable cerveau global au sein de chaque organisation, permettant d’accéder facilement à l’information et de simplifier toutes les interactions.
« Imaginez un futur où, au lieu de chercher frénétiquement à travers répertoires, documents et emails pour trouver le meilleur expert en droit fiscal au sein de l’entreprise, par exemple, vous puissiez communiquer avec un agent intelligent qui emploierait les capacités de compréhension de Maluuba pour répondre immédiatement à votre requête. » imagine ainsi Microsoft dans un article de blog faisant suite au rachat de Maluuba. Avec un assistant virtuel omniscient, toute la vie en entreprise serait simplifiée. Une réunion à organiser ? L’intelligence globale se connecte automatiquement à Julie, qui sélectionne un panel de dates collant avec les différents agendas, puis choisit la date après retour des différentes personnes concernées. Le jour J, l’assistant universel fait appel à un assistant vertical spécialisé dans le traitement de la boîte mail (Astro, par exemple), pour mettre le mail de rappel de la réunion bien en évidence dans la boîte de réception de chaque participant. Il s’occupe ensuite de réserver une salle et vous prévient dès que les différents participants se présentent à l’accueil. Un individu connaît un empêchement de dernière minute et doit faire la réunion à distance ? Le cerveau global opte pour une salle dotée d’un équipement de vidéoconférence. Un participant fait mention d’une étude portant sur tel sujet pointu ? L’assistant retrouve automatiquement ladite étude sur l’internet et la transmet à tous les participants. À la fin de la réunion, il appelle automatiquement l’ascenseur pour les participants extérieurs souhaitant regagner leurs quartiers. L’un des casse-têtes de la vie professionnelle devient ainsi un jeu d’enfant.