Quand l’Intelligence Artificielle apprend à négocier

Des chercheurs de Facebook ont mis au point une intelligence artificielle capable d’entretenir des négociations basiques avec les humains. Un pas supplémentaire vers des agents conversationnels évolués, avec de nombreuses applications économiques à la clef.

Au cours des dernières années, un nombre d’utilisateurs sans précédent a pu faire l’expérience d’un dialogue avec des intelligences artificielles, par le biais des assistants virtuels intégrés dans leurs smartphones ou leurs appareils connectés. Les plus connus sont Siri, l’assistant virtuel d’Apple, Alexa, d’Amazon, et Google Assistant. Si ces différents assistants se révèlent d’une utilité indiscutable, leurs facultés de conversation restent simples et factuelles. Nous demeurons bien éloignés des discussions philosophiques entre humains et robots que dépeignent certaines œuvres de science-fiction. Invisibles pour le consommateur final, de nombreuses recherches visent cependant à construire des intelligences artificielles susceptibles d’entretenir une conversation plus évoluée, se rapprochant du niveau humain.

Ainsi, en mai dernier, Facebook a annoncé la création d’une plateforme en logiciel libre à destination des programmeurs. Baptisée ParlAI, elle offre une structure pour entraîner et tester des algorithmes d’intelligence artificielle conversationnelle. Elle comprend également l’accès à une base de données contenant de nombreux extraits de dialogues, ainsi qu’à Amazon Mechanical Turk, une plateforme en ligne permettant de recruter facilement des travailleurs humains pour des activités ayant trait à l’intelligence artificielle. En l’occurrence, les programmeurs pourront facilement recruter des beta-testeurs humains pour interagir avec l’intelligence artificielle afin d’éprouver ses aptitudes conversationnelles. Enfin, la plateforme permet aux chercheurs d’échanger leurs codes sur un registre central.

Selon Antoine Bordes, du Facebook Artificial Intelligence Research lab, l’objectif de ParlAI est de concevoir des machines capables de participer à de longues conversations, d’entretenir un dialogue et d’échanger des idées avec les humains. Selon ses propos, rapportés par le média américain The Verge, une telle performance nécessite de concevoir une intelligence artificielle douée de mémoire, d’un accès à une large base de données de connaissances extérieures, et d’une certaine dose d’intelligence émotionnelle. Davantage qu’aux développeurs cherchant à concevoir rapidement un assistant virtuel à des fins commerciales, ParlAI est donc destiné aux chercheurs qui opèrent aux avant-postes de la discipline, davantage soucieux d’explorer de nouveaux champs de recherche que de bâtir des agents immédiatement utilisables par le grand public.

Une intelligence artificielle capable de bluffer

Un mois après l’annonce de la création de ParlAI, des chercheurs de l’entreprise de Mark Zuckerberg ont mis au point une intelligence artificielle conversationnelle capable de négocier avec des humains. Ils ont pour ce faire employé un réseau neuronal, entraîné sur une base de données rassemblant une série de négociations simples entre humains. Pour construire cette base de données, plusieurs individus ont dans un premier temps été recrutés pour participer à un petit jeu de négociation en ligne aux règles très basiques, avec un nombre limité d’objets à échanger. Chaque participant devait se prêter à une succession d’opérations de troc, négociant par écrit avec les autres pour rassembler un maximum d’objets de valeur. Les chercheurs de Facebook ont ensuite nourri l’intelligence artificielle avec l’historique de ces transactions. Ils ont également ajouté une composante inspirée par le fonctionnement du logiciel AlphaGo, permettant à l’intelligence artificielle de prévoir le comportement des humains, d’imaginer les différents scenarii possibles pour les négociations futures afin de prendre la meilleure décision en fonction de ces variables.

Une fois entraînée, l’intelligence artificielle a pris part à un deuxième tour de négociations avec les participants humains. Non seulement ceux-ci n’ont pas réalisé qu’ils étaient confrontés à une intelligence artificielle, mais celle-ci a réalisé des scores similaires à ceux obtenus par les humains, se montrant aussi douée qu’eux dans l’art de la négociation. L’intelligence artificielle s’est également avérée capable de bluffer, d’inventer des stratégies de diversion, faisant semblant de convoiter des objets de faible valeur pour mettre la main sur ceux qu’elle voulait réellement. Une technique qui n’avait pas été programmée et qu’elle a donc mise au point toute seule.

La capacité à négocier étant pour l’heure l’apanage de l’humain, les chercheurs de Facebook ont donc effectué un premier pas vers une intelligence artificielle capable de dialogues plus complexes, avec une capacité de mémorisation, d’improvisation et même de manipulation. « Ils sont partis d’une idée classique, qui consiste à entraîner un modèle supervisé pour générer des phrases qui ressemblent à celles des humains, puis à affiner ces phrases pour parvenir à un but précis. Ils ont ensuite effectué un important travail pour adapter cette idée de départ à un nouvel environnement, celui de la négociation, en ajoutant certaines idées reprises du fonctionnement d’AlphaGo. » commente Zachary Chase Lipton, chercheur spécialisé dans l’intelligence artificielle.

Si le cheminement est ingénieux et les résultats obtenus prometteurs, il convient de ne pas les surinterpréter, l’étude étant limitée à un scénario très simple, avec une richesse langagière assez réduite. « Aucune de ces idées n’est entièrement nouvelle. », tempère Zachary Chase Lipton. « En outre, ce système fonctionne certes un petit peu mieux que le dispositif classique, consistant à imiter le phrasé humain, mais uniquement dans le cadre très réduit où ils ont entraîné leur modèle. De là à pouvoir négocier en situation réelle avec des humains, il y a encore un pas important à franchir. »

Vente, marketing, standard téléphonique, prise de rendez-vous… Les assistants virtuels sont sur tous les fronts.

Si l’intelligence artificielle n’est pas (encore) capable de jouer les Jordan Belfort, les progrès de la recherche, dont cette étude constitue la dernière manifestation, permettent d’envisager à court et moyen terme de nombreuses applications concrètes. Selon Zachary Chase Lipton, nous pourrions ainsi avoir, dans un futur proche, des intelligences artificielles assistant les vendeurs pour des opérations basiques, en particulier pour des produits homogènes, où dialogues et négociations sont très similaires et répétitifs d’un client à l’autre. D’autres applications sont même déjà mises en œuvre, avec supervision humaine, la technologie n’étant pas suffisamment mûre pour être entièrement autonome.

L’entreprise Conversica propose ainsi une intelligence artificielle conçue pour épauler les professionnels de la vente et du marketing. Baptisée Angie, elle est capable d’entretenir une conversation par email avec des clients potentiels. Lorsqu’elle repère un contact susceptible d’acheter, elle passe la main à un opérateur humain. Grâce à Angie, chaque travailleur peut ainsi établir le contact avec un grand nombre de pistes potentielles, et maximiser ses chances de conclure des affaires. Conversica travaille par exemple avec Epson America, entreprise spécialisée dans la vente d’imprimantes et de matériel d’imagerie. L’entreprise identifie entre 40 000 et 60 000 clients potentiels par an, et la force de vente d’Epson America n’a bien sûr pas les moyens humains de contacter chacun d’entre eux. L’introduction de l’intelligence artificielle de Conversica a permis de soulager le travail des vendeurs, d’accroître considérablement le nombre d’interactions avec les clients potentiels, et ainsi de générer davantage de ventes, dégageant, selon la Harvard Business Revue, deux millions de revenus supplémentaires en l’espace de trois mois.

Pour Werner Koepf, chief AI expert de Conversica, ce type d’assistants virtuels, centrés sur une mission bien spécifiques, vont de plus en plus assister les humains dans leur travail. « On voit se développer un nombre croissant d’intelligences artificielle spécialisées, répondant à un objectif bien précis. Il peut s’agir de négocier un prix de vente, planifier un rendez-vous professionnel, repérer un client potentiel, soumettre une demande de prêt, répondre aux emails, etc. » explique-t-il. « Dans un futur proche, nous aurons des agents capables d’assurer chacune de ces fonctions. Plus le cadre du problème est réduit, plus l’intelligence artificielle peut se rapprocher des performances humaines. Notre propre assistant virtuel est ainsi très doué pour repérer des clients potentiels, prendre contact avec eux et entretenir la discussion, le tout par email. Il s’avère à maints égards meilleur que l’homme, qui tend à abandonner trop tôt, écrit de mauvais emails et oublie de répondre. Nous pouvons donc déjà constater les possibilités de l’intelligence artificielle pour automatiser certains échanges professionnels, et les choses vont aller en s’améliorant. »

Rowan Trollope, vice-président du département Internet des objets de CISCO Systems, pense de son côté que l’ensemble des boîtes vocales seront bientôt remplacées par des intelligences artificielles conversationnelles. « Lorsque vous appellerez le service client d’une entreprise, une voix à l’autre bout du fil vous dira “Bonjour, que puis-je faire pour vous ?”, mais il s’agira d’un robot et non d’un humain. Tout le monde aime l’idée de pouvoir parler directement à quelqu’un, mais aujourd’hui, par manque de main d’oeuvre, on se retrouve confronté à des boîtes vocales automatisées, avec un choix de réponses prédéfinies. L’intelligence artificielle va permettre de changer cela. » prédit-il. Il imagine également, au sein de chaque entreprise, une intelligence artificielle omnisciente, faisant circuler l’information de manière optimale. « Je pourrais par exemple demander à l’assistant virtuel quel est l’expert le mieux qualifié sur tel sujet au sein de l’entreprise. Il puiserait alors dans la base de données pour extraire cette information et me la transmettre immédiatement. » Reste à demander à son assistant spécialisé dans la prise de rendez-vous d’organiser une rencontre collant avec les deux agendas, et le tour est joué.

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