Futur du TravailIntelligence Artificielle

Comment l’intelligence artificielle transforme l’organisation du travail

La récolte de données, et leur analyse à l’aide de l’intelligence artificielle, sont en passe de rendre le travail plus efficace et productif. Il deviendra du même coup plus autonome et enrichissant, mais aussi plus exigeant.

Pas un jour ne s’écoule sans que l’on évoque de nouveaux progrès dans le domaine de l’intelligence artificielle. Les esprits les plus alarmistes craignent que cela ne mette la quasi-totalité de la population au chômage : c’est le scénario qu’explore la série française Trepalium, où une élite prospère bénéficie de toutes les joies du confort moderne tandis que la majorité de la population végète dans la misère et l’oisiveté. D’autres, plus optimistes, prédisent que de nouveaux emplois viendront remplacer les anciens postes automatisés par les machines. Mais au-delà de ces querelles d’ordre quantitatif, l’intelligence artificielle va aussi transformer la nature du travail.

L’ère du « Quantified Self »

On parle aujourd’hui de l’ère du « quantified self » (« moi quantifiable ») pour désigner la multiplication des objets connectés, qui permettent à chacun de rassembler une quantité de données inédite sur son état de santé ou ses performances sportives. Dans la sphère professionnelle, la collecte de larges quantités de données (le fameux « big data »), et leur analyse grâce à l’intelligence artificielle, commencent d’ores et déjà à transformer la manière dont nous travaillons. En la matière, l’économie à la demande se situe aux avant-postes. Ainsi, Uber collecte en permanence les données de mobilité de ses chauffeurs et clients. Chaque trajet est analysé pour optimiser les algorithmes qui renseignent le conducteur sur la route la plus rapide à emprunter pour rejoindre sa destination, et proposent aux passagers se rendant au même endroit de partager une course. Les entreprises de livraison à la demande font de même pour optimiser la rapidité avec laquelle elles servent leurs clients.

intelligence artificielle et organisation du travail

L’analyse de données mise au service de chacun

La tendance commence également à gagner les entreprises traditionnelles, où échanges d’emails, performances des employés et réunions professionnelles sont décortiqués et analysés à l’aide de nouveaux outils permis par les progrès de l’intelligence artificielle.

En juillet dernier, Microsoft a ainsi lancé un logiciel, baptisé Microsoft Workplace Analytics, pour rendre l’analyse de données plus accessibles aux entreprises. Appliqué aux équipes de vente, il permet de repérer les pratiques spontanément employées par les meilleurs vendeurs, et qui font la recette de leur succès. L’entreprise n’a alors plus qu’à former le reste de sa force de vente pour qu’ils s’inspirent de ses méthodes. Même chose dans la sphère managériale : Microsoft Workplace Analytics permet de repérer les pratiques qui suscitent les plus forts taux d’engagement et de motivation auprès des employés (entretiens en tête à tête, confiance, autonomie accordée dans le travail…). L’entreprise peut ensuite s’en inspirer pour redéfinir la formation de ses cadres.

L’analyse de données est également mise au service de chaque individu. Ainsi, à l’aide de Microsoft Workplace Analytics, le travailleur bénéficie d’une analyse exhaustive de son temps de travail, qui lui permet de voir à quelle fréquence il est interrompu dans sa concentration, le temps qu’il passe en réunion chaque semaine, ou encore les heures qu’il passe à travailler en dehors de ses heures de bureau. Il peut ainsi se faire une meilleure idée de son emploi du temps, identifier ce qui freine sa productivité ou renégocier avec son employeur, par exemple pour recevoir une augmentation en échange de ses heures supplémentaires, métrique à l’appui, ou demander à être exempté de réunions chronophages où sa présence n’est pas nécessaire.

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L’employé peut également effectuer un véritable scanner de sa boîte mail, pour connaître le temps exact qu’il passe chaque jour à rédiger des courriers, ainsi que le taux de lectures et de réponses qu’il obtient de la part de chacun de ses clients. Il peut ainsi constater qu’il est inutile de relancer inlassablement tel contact qui de toute manière n’ouvre jamais ses emails, ou encore identifier les jours de la semaine et les tranches horaires où ses emails reçoivent le plus de réponses, pour adapter son usage en fonction de ces informations.

Pourquoi se cantonner aux emails ? L’entreprise Chorus analyse les appels passés par les professionnels de la vente, et offre au travailleur un retour sur les choix des mots et tournures de phrase les plus efficaces pour maximiser ses chances de conclure un marché. Aux entreprises en quête du candidat idéal, l’entreprise Textio propose les services de ses algorithmes d’apprentissage machine, qui, à l’aide de données rassemblées parmi des dizaines de millions d’annonces, aident les ressources humaines à rédiger des fiches de poste optimisées pour attirer le candidat idéal. L’intelligence artificielle devient ainsi le meilleur des coachs.

Vers davantage d’autonomie

Mieux mesuré, plus efficace, le travail devient du même coup plus horizontal. L’intelligence artificielle permet d’automatiser un certain nombre de tâches managériales, en particulier celles qui ont trait au contrôle des employés, au travail administratif et à la coordination des équipes.

« Le passage à une approche pilotée par les données est l’un des changements les plus importants auxquels on assiste aujourd’hui dans le monde du management. » affirme ainsi John Sullivan, professeur en management à la San Francisco State University.

Pour Sydney Finkelstein, professeur de management à la Tuk School of Business du Dartmouth College, certaines activités managériales seraient même en passe d’être totalement automatisées :

« La triste vérité, c’est que le management intermédiaire est en passe de disparaître. Il y aura toujours des individus chargés de superviser le travail des autres, mais les changements technologiques, démographiques et de culture d’entreprise se combinent pour renverser ce qui a longtemps été une pratique standard en entreprise. Nous ne devons plus […] penser que les cadres intermédiaires sont le liant qui connecte les travailleurs et assurent l’alignement des objectifs tout au long de la hiérarchie. »

Ainsi, selon une étude d’Accenture, la plupart des tâches routinières d’administration et de contrôle, comme l’allocation des ressources, le suivi de la productivité et l’organisation de réunions seront bientôt assurées par des intelligences artificielles. Un sondage conduit par la Harvard Business Review auprès de 1 770 managers issus de 14 pays différents tire un constat similaire : alors qu’aujourd’hui, les managers consacrent plus de la moitié de leur temps à des activités administratives et de contrôle, cette proportion va drastiquement baisser à mesure que la plupart de ces fonctions seront automatisées. Certaines entreprises, comme Julie Desk, proposent d’ores et déjà un service d’assistant virtuel capable d’automatiser entièrement la prise de rendez-vous et l’organisation de réunions. D’autres, comme BetterWorks, proposent un outil clef en main pour automatiser l’assignation d’objectifs individuels et l’évaluation de la performance.

Selon Bernard Marr, consultant spécialisé dans la technologie et les données, ce type de dispositif aura également pour avantage de rendre les systèmes d’évaluation et de rétribution plus justes :

« De nombreuses études montrent que des comportements conscients ou inconscients peuvent injustement influencer l’analyse de la contribution d’un individu à son entreprise. […] C’est ici que l’intelligence artificielle a un rôle à jouer, car les biais d’analyse, tout comme la fatigue et la défaillance logique, sont des faiblesses humaines que l’intelligence artificielle n’a pas à surmonter. »

L’entreprise de demain sera donc moins hiérarchique, et davantage composée d’un agrégat de travailleurs supervisés par des processus dopés à l’intelligence artificielle. Ces changements induits par la technologie se combinent harmonieusement avec des tendances de fond que nous observons déjà dans la population active, comme la hausse du nombre de travailleurs indépendants (la moitié des travailleurs américains seront indépendants d’ici 2020), la promotion du télétravail et le passage progressif d’une obligation de présence à une obligation de résultat.

Bienvenue à l’ère des managers augmentés

Pas de panique, les managers ne vont pas pour autant disparaître. En supprimant les parties les plus routinières et rébarbatives de leur travail, l’intelligence artificielle va au contraire leur permettre de se recentrer sur les domaines où ils excellent, où ils apportent une véritable valeur ajoutée en tant qu’humains, comme l’expliquent Vegard Kolbjørnsrud, Richard Amico et Robert J. Thomas dans la Harvard Business Review :

« Nombre de décisions requièrent des connaissances allant au-delà de ce que l’intelligence artificielle peut extraire des données. Les managers bénéficient d’une connaissance de l’histoire et de la culture d’entreprise, ainsi que d’empathie et d’une réflexion éthique. Il s’agit de l’essence du jugement humain : l’application de l’expérience et de l’expertise à des décisions et pratiques professionnelles importantes. »

Selon ces auteurs, la technologie va également permettre l’avènement de managers augmentés, s’appuyant sur l’intelligence artificielle et le traitement des données pour orienter leur prise de décision. Ils citent l’exemple de Kensho Technologies, une entreprise spécialisée dans la création d’outils d’analyses pour investisseurs professionnels. L’entreprise a notamment mis au point un dispositif qui permet aux managers de poser des questions précises et complexes à l’intelligence artificielle sur l’état du marché et de recevoir une réponse quasi instantanée.

« Imaginez bénéficier d’un mentor à qui vous puissiez en permanence demander conseils et analyses. C’est la vision de nombreux outils développés autour de l’intelligence artificielle, qui promettent de rendre les managers plus intelligents et mieux qualifiés pour prendre des décisions. » –  Sylvester Kaczmarek, entrepreneur et écrivain spécialisé dans le management des nouvelles technologies.

Ce qui vaut pour les managers vaudra aussi pour le reste de la population active. À mesure que l’intelligence artificielle permettra d’automatiser les activités les plus répétitives, les humains seront amenés à occuper des fonctions plus créatives ou mettant davantage en valeur leurs qualités humaines, comme l’empathie, la collaboration et l’échange. Le travail de demain sera ainsi plus intéressant et plus gratifiant, mais aussi plus difficile et exigeant, avec la disparition progressive des emplois les plus simples et routiniers. Un défi à relever pour l’éducation et la formation professionnelle.

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