Pour toucher le grand public, le marché de la maison connectée doit proposer un environnement unifié et simple d’utilisation. Une réalité qui pousse les acteurs à la collaboration.
La maison intelligente est un vieux rêve, dépeint par de nombreuses œuvres de science-fiction, une part de l’imaginaire collectif qu’exploitent aujourd’hui moult entreprises qui souhaitent en faire une réalité. Porte d’entrée qui se déverrouille lorsque le propriétaire s’avance dans l’allée, lumières qui s’allument et s’éteignent toutes seules, températures qui s’ajustent automatiquement… autant de fonctionnalités magiques que les acteurs de la domotique promettent à leurs clients, le tout sans que ceux-ci aient besoin d’effectuer le moindre geste, d’appuyer sur la moindre commande. Pour l’heure, si le marché de la maison intelligente connaît un dynamisme indéniable, il demeure en phase d’éclosion, mêlant produits en tous genres et acteurs de tous horizons.
L’une des principales difficultés auxquelles sont confrontés ces différents acteurs réside précisément dans la complexité et l’éclatement du marché. En effet, la valeur ajoutée de la maison intelligente réside, pour l’utilisateur, dans l’interconnexion entre plusieurs objets connectés différents, et dans leur fonctionnement harmonieux pour répondre à ses moindres désirs. Pris indépendamment, les objets connectés sont des gadgets sympathiques, mais c’est lorsqu’ils fonctionnent ensemble qu’ils offrent une vraie valeur à l’utilisateur. Ainsi, un lave-linge connecté qui envoie une notification à son propriétaire lorsqu’il a fini de tourner a peu de chances d’intéresser au-delà du cercle des férus de nouvelles technologies. En revanche, le même lave-linge qui serait capable de communiquer avec le compteur d’eau pour calculer le moment de la journée le moins coûteux pour fonctionner, puis échangerait avec le sèche-linge pour programmer exactement le temps nécessaire pour sécher les vêtements qu’il vient de laver, pourrait déjà conquérir une base d’utilisateurs bien plus large.
Les géants du Net en quête d’un connecteur universel
Or, comme les objets connectés sont fabriqués par une multitude d’acteurs différents, les faire fonctionner de concert représente un véritable défi pour l’utilisateur. Fort de ce constat, les grandes entreprises des nouvelles technologies, Amazon, Google et Samsung en tête, s’efforcent de mettre en place des solutions susceptibles de servir d’interfaces intuitives et universelles, sous la forme d’assistants vocaux permettant aux individus de contrôler facilement leur parc d’objet connecté. Chacun espère ainsi imposer sa solution comme l’interface privilégiée pour interagir avec la maison autonome, monopolisant du même coup une bonne partie de la création de valeur sur ce marché, et orientant les consommateurs vers leurs propres produits au détriment de ceux de la concurrence.
En plus de développer chacun leur propre intelligence artificielle conversationnelle, ces différents acteurs proposent une plateforme ouverte aux développeurs pour leur permettre de construire des applications autour de la domotique, tout en multipliant les rachats et partenariats dans le domaine de la maison connectée, toujours dans le but de façonner un écosystème harmonieux dont ils seraient les ambassadeurs privilégiés. Google a ainsi racheté Nest, jeune pousse dont le thermostat intelligent constitue l’un des plus grands succès du marché de la maison intelligente. Amazon s’est de son côté associée au rival de Nest, Ecobee. Les thermostats vendus par la jeune pousse intègrent désormais l’intelligence conversationnelle d’Amazon, Alexa. L’entreprise de Jeff Bezos a également racheté la startup Ring, qui conçoit une serrure connectée, rachat qui sert notamment le projet Amazon Key, visant à permettre aux livreurs d’Amazon de déposer les colis directement à l’intérieur des habitations de ses clients. La serrure connectée permettrait de laisser entrer le livreur et de verrouiller la porte derrière lui.
Samsung, de son côté, a racheté la jeune pousse Viv.ai, lancée par des anciens de Siri, avec l’ambition de créer une interface vocale universelle pour contrôler les objets connectés du quotidien. L’entreprise a également acquis l’application SmartThings, une plateforme de communication conçue pour connecter un écosystème d’objets intelligents, certains fabriqués par Samsung, d’autres par des tierces parties. Les géants des nouvelles technologies contribuent ainsi à rendre le marché plus accessible à l’utilisateur, mais également plus stable. En effet, un objet connecté peut devenir inutilisable si la startup qui le commercialise fait faillite : lorsqu’une grande entreprise comme Amazon ou Samsung est impliquée, l’utilisateur dispose de davantage de garanties. Mais dans le même temps, ces entreprises renforcent également leur position dominante, et gagnent l’opportunité de recueillir encore davantage de données sur les individus. Amazon sait déjà tout de nos habitudes d’achat, Google est parfaitement informé de ce que nous faisons sur la toile : en s’invitant dans nos domiciles, ces entreprises vont devenir encore plus omniscientes qu’elles ne le sont déjà.
Quand acteurs traditionnels et jeunes pousses collaborent
Les géants des nouvelles technologies vont toutefois devoir composer avec les acteurs traditionnels de l’industrie, qui ne comptent pas se laisser cannibaliser. Acteurs de l’énergie, de l’électroménager, des télécommunications et de la grande distribution commencent ainsi à travailler de concert pour promouvoir leurs propres solutions au service de l’expérience utilisateur, susceptibles de concurrencer celles de Google, Amazon et consorts. Auchan, Leroy Merlin et Boulanger se sont ainsi associés pour développer l’écosystème Enki, un centre de contrôle unifiant les différents objets de la maison connectée, conçu pour rivaliser avec les ambitions des GAFA en matière de connecteur global.
D’autres oscillent entre compétition et collaboration : ainsi, EDF a lancé le thermostat intelligent Sowee, qui vient concurrencer les Américains Nest et Ecobee, et dont la dernière version est compatible avec Alexa. En Allemagne, le groupe Bosch s’est doté d’une division exclusivement consacrée au marché de la maison intelligente.
Et tout comme les géants du net, les acteurs traditionnels de l’industrie misent sur la collaboration avec les startups de la domotique pour bâtir un écosystème cohérent, unifié et simple d’utilisation. Sur le sol américain, le géant de la grande distribution Walmart, grand concurrent d’Amazon, s’est doté de sa propre division Smart Home et s’est associé à la jeune pousse August, qui fabrique serrures connectées et caméras de sécurité. L’objectif : mettre en place un système de livraison à domicile susceptible de concurrencer Amazon Key. Walmart s’est également associée à Microsoft, notamment pour développer des solutions intelligentes autour de la maison connectée. Velux s’est de son côté allié avec le jeune fabricant d’objets connectés Netatmo pour proposer une solution de fenêtres intelligentes susceptibles de réduire la consommation d’énergie. Un système de capteurs répartis dans la maison permet de mesurer la chaleur et la qualité de l’air, et d’ouvrir ou de fermer automatiquement les fenêtres en fonction.
Bouygues Immobilier a tissé un partenariat avec la startup aixoise Ween, qui propose un thermostat intelligent en forme de goutte d’eau. Ce dernier sera intégré aux appartements d’un nouvel écoquartier dont Bouygues gère la construction. La jeune pousse américaine Axius, qui, sur le modèle d’Alexa et Google Home, souhaite proposer une interface de communication, un connecteur universel pour les objets de la maison connectée, travaille de son côté avec plusieurs entreprises immobilières dans les villes de New York, San Francisco, Los Angeles et Washington.
Dans chacun de ces exemples, l’expertise métier des acteurs traditionnels se combine avec la technologie d’un jeune entrant. Combiner les ressources financières et les capacités de distribution des grands groupes avec la souplesse, l’agilité et la réactivité des jeunes pousses est une combinaison gagnante sur la plupart des marchés. Mais sur celui de la maison intelligente, marquée par une importante concurrence, un éclatement de l’offre et une stratégie agressive des géants du Net, cette stratégie prend la forme d’un impératif catégorique.