Technologie encore expérimentale, l’informatique quantique pourrait un jour révolutionner l’analyse de données et l’intelligence artificielle.
Ordinateur quantique : voilà un terme qui évoque tantôt l’univers de la science-fiction, tantôt des recherches ésotériques menées par de grands scientifiques en laboratoire. Pourtant, cette technologie commence aujourd’hui à trouver ses premières applications dans la sphère professionnelle. Ainsi, il y a déjà un an, IBM a annoncé la mise à disposition de son ordinateur quantique maison pour des entreprises tierces, sous la forme d’un service cloud baptisé IBM Q Experience. Dans la foulée, le géant de l’informatique a également mis en place un partenariat comprenant grandes entreprises, universités et laboratoires pour promouvoir la recherche autour de cette technologie. Bien qu’encore assez peu puissant et très expérimental, l’ordinateur quantique d’IBM est bel et bien fonctionnel, et utilisé par de grandes entreprises, dont le constructeur automobile Daimler et la société d’électronique Samsung.
Qu’est-ce qu’un ordinateur quantique ?
Comme son nom l’indique, un ordinateur quantique s’appuie sur les principes de la mécanique quantique, qui décrit les lois de la nature à l’échelle de l’infiniment petit. Or, celles-ci sont différentes de celles qui régissent la physique que nous observons à notre échelle. Concrètement, là où un ordinateur traditionnel représente l’information de manière binaire, sous forme de 0 et de 1, pour un ordinateur quantique, cela peut être 0, 1, ou les deux à la fois. Sans entrer davantage dans les détails, ce simple changement permet aux ordinateurs quantiques de réaliser des opérations informatiques bien plus complexes.
« Certains problèmes qui prendraient des milliards d’années pour être traités par un ordinateur classique pourraient être résolus en quelques minutes avec un ordinateur quantique », affirme ainsi Catherine McGeoch, informaticienne chez D-Wave, entreprise spécialisée dans la construction d’ordinateurs quantiques. Elle précise toutefois que la technologie en est pour l’heure à ses balbutiements, et ne permet pas encore d’obtenir ce type de performances. Si les ordinateurs quantiques n’ont pas encore atteint leur plein potentiel, des appareils développés par Intel, IBM et Google sont aujourd’hui suffisamment puissants pour accomplir certaines opérations trop complexes à réaliser sur un ordinateur traditionnel. C’est ce que l’on nomme la suprématie quantique.
« Les récents progrès de la physique et des sciences des matériaux ont rendu l’informatique quantique bien plus proche de la réalité. Ceci, associé à l’intérêt exprimé et aux investissements effectués par de nombreux états, a contribué à accroître considérablement la popularité de l’informatique quantique. Ajoutons, enfin, les investissements et la publicité effectués par Google, Microsoft, Intel, IBM et consorts », décrypte William Hurley, entrepreneur américain.
L’informatique quantique est désormais une réalité
La technologie intéresse bien au-delà du cénacle constitué par les géants de l’informatique américains. Les entreprises chinoises, Alibaba, Tencent et Baidu en tête, ne sont pas en reste, et le gouvernement a prévu d’investir 10 milliards de dollars dans la technologie. Citons encore l’entreprise canadienne D-Wave, ou encore la jeune pousse Rigetti Computing. Basée à Berkeley, en Californie, elle explore les possibilités de l’ordinateur quantique depuis 2013, et plusieurs startups, comme IonQ, QCI ou encore Alpine Quantum lui emboîtent le pas. De nombreuses universités du monde entier, dont Yale, le MIT, le Tokyo Institute of Technology ou encore l’université d’Oxford poussent enfin leurs propres recherches autour de l’ordinateur quantique.
Malgré les progrès effectués par ces différentes entités, un ordinateur quantique est loin d’être aussi facile à construire qu’un ordinateur traditionnel. De nombreux défis techniques demeurent à surmonter. Un ordinateur quantique doit notamment être maintenu à une température extrêmement froide, proche du zéro absolu, pour conserver sa stabilité. En outre, les « bugs » informatiques surviennent plus facilement et sont plus difficiles à traiter que sur un ordinateur normal. C’est pourquoi la timide arrivée de l’ordinateur quantique dans la sphère professionnelle se fait sous forme de service : les entreprises les plus avancées proposent à leurs pairs d’utiliser leur ordinateur via le cloud.
IBM Q Experience, que nous citions plus haut, compte ainsi pour l’heure 80 000 utilisateurs, qui ont réalisé plus de 3 millions d’expériences différentes. Parmi ces clients, on compte notamment des entreprises et des chercheurs. Google a lui aussi offert l’accès à son ordinateur quantique via son service cloud à l’été 2017. La jeune pousse Rigetti Computing ambitionne quant à elle de devenir à l’ordinateur quantique ce qu’Amazon Web Service est au cloud : une plateforme permettant à toute entreprise d’accéder facilement aux ressources de l’informatique quantique, en fonction de ses besoins spécifiques. Un service accessible depuis décembre 2017. Pour l’heure, la jeune pousse propose à ses clients d’y accéder gratuitement pour développer des applications concrètes. Elle a même mis en jeu une cagnotte d’un million de dollars pour qui parviendra à bâtir la meilleure application !
Le travail remodelé par l’ordinateur quantique
Quelles sont les applications possibles dans la sphère professionnelle ?
« Les ordinateurs quantiques vont nous permettre de donner du sens au déluge de données que nous générons, et de résoudre ainsi des problèmes très intéressants », affirme William Hurley. En effet, lorsqu’il s’agit de naviguer parmi de vastes bases de données et d’étudier un grand nombre de possibilités différentes, les ordinateurs quantiques peuvent jouer un rôle déterminant. Leur usage est ainsi particulièrement fertile dans le domaine de la recherche, et dans la conception de solutions créatives. Citons, notamment, la découverte de nouveaux médicaments, ou la mise au point de matériaux inédits. « Les ordinateurs quantiques seront capables de modéliser de nouveaux matériaux plus efficacement que les ordinateurs traditionnels. Cela ouvrira la possibilité de tester des milliers de design différents, par exemple pour une nouvelle batterie, et de choisir le meilleur. Cette tâche est actuellement effectuée par des super-ordinateurs traditionnels, mais leurs homologues quantiques donneront des résultats plus précis », prédit Andris Ambainis, chercheur en mécanique et informatique quantiques à l’université de Lettonie.
Autre domaine devant jongler avec d’énormes quantités de données complexes, la finance pourrait également largement bénéficier de l’avènement de l’ordinateur quantique. Sélectionner l’action la plus prometteuse pour un portefeuille d’investissement, prédire les cours futurs avec davantage de précision, déterminer quelles actions risquent de décrocher et lesquelles ont, au contraire, la plus forte probabilité de s’envoler : autant de prédictions qui pourraient devenir plus précises grâce à l’ordinateur quantique. IBM travaille ainsi avec plusieurs grandes banques américaines, dont Barclays et JP Morgan Chase. Cette dernière a également réuni un petit groupe d’ingénieurs et de mathématiciens pour évaluer les possibilités de l’ordinateur quantique dans des domaines comme le trading ou la prédiction des risques financiers, à l’aide du service cloud d’IBM. L’une des entreprises clientes de Rigetti, QxBranch, développe de son côté, des outils d’analyse financière basés sur l’informatique quantique.
De manière plus générale, la capacité de l’ordinateur quantique à extraire du sens de vastes quantités de données pourrait trouver des applications concrètes dans des industries aussi diverses que l’aviation, le commerce ou l’industrie. La NASA elle-même utilise l’ordinateur quantique de D-Wave pour optimiser les missions des robots envoyés dans l’espace et sur Mars. À l’heure où les entreprises génèrent une quantité de données toujours plus grande, les acteurs capables d’analyser efficacement celles-ci peuvent réaliser des prédictions sur l’avenir et ainsi obtenir un avantage non négligeable sur la concurrence. L’ordinateur quantique permettrait de mettre en place des scenarii prédictifs plus précis, et d’optimiser ainsi l’allocation du temps et des ressources entre les différents biens et services produits par l’entreprise.
Vers l’intelligence artificielle quantique
Enfin, la démocratisation de l’informatique quantique pourrait bien se combiner avec une autre avancée technologique de pointe : l’intelligence artificielle. « L’ordinateur quantique pourrait permettre de résoudre de nombreux problèmes qui émergent aujourd’hui en apprentissage machine », affirme ainsi Catherine McGeoch. « Il y a une combinaison naturelle entre la nature intrinsèquement statistique de l’informatique quantique et l’apprentissage machine », confie de son côté un ingénieur de Rigetti à la publication scientifique américaine Quanta Magazine. Plusieurs expérimentations ont déjà été menées en la matière. L’an passé, le California Institute of Technology a ainsi appliqué l’usage d’un ordinateur quantique à un exercice d’intelligence artificielle visant à observer le Boson de Higgs, avec des résultats concluants. La machine quantique est parvenue à un résultat aussi précis qu’un ordinateur traditionnel, avec une quantité de données plus réduite.
À plus long terme, c’est peut-être bien l’internet lui-même que l’informatique quantique pourrait transformer. Ainsi, des chercheurs chinois travaillent actuellement à un projet de communications basées sur l’informatique quantique, qui puise notamment dans les ressources de cette technologie pour accroître la cybersécurité et neutraliser les risques de piratage. Si le test s’avère concluant, ces réseaux pourraient-ils ouvrir la voie à un internet quantique, plus performant et sécurisé ? Aussi prometteuse soit-elle, cette idée demeure toutefois très spéculative, et l’internet tel que nous le connaissons a encore de beaux jours devant lui.