Après le succès de A quoi ressemblera une journée de travail en 2038, nous vous proposons de remettre le couvert avec ce nouveau chapitre qui nous plonge dans un futur pas-si-lointain.
Impression 3D omniprésente, créativité stimulée par la réalité augmentée et organisation du travail flexible : voici à quoi pourrait bien ressembler le monde du travail de demain.
Tandis qu’elle remonte à vive allure l’avenue aux longues rangées d’arbres qui longe son domicile, Arianne Smith jette un coup d’œil sur sa montre connectée. 8h12, indiquent les chiffres holographiques qui flottent quelques centimètres au-dessus de l’écran. « Tout juste à l’heure », songe la jeune femme tout en parcourant les derniers mètres qui la mènent à l’aérogare, où l’attend un véhicule au fuselage aérodynamique et aux courtes ailes rétractables. Elle grimpe à bord, rejoignant les trois passagers déjà installés sur les banquettes, qu’elle a rencontrés à plusieurs reprises lors de ses trajets matinaux.
À peine le temps de boucler sa ceinture, l’appareil décolle à la verticale, sous l’impulsion de ses trois moteurs électriques. Une fois dans les airs, il déploie élégamment ses ailes et file vers sa destination. Les passagers ont à peine le temps de consulter leur messagerie électronique ou de sortir un livre : quelques minutes après avoir décollé, l’appareil est arrivé à destination et se pose en douceur sur le toit d’un immeuble situé dans le quartier d’affaires de Providence, dans le Rhode Island. Les 30 km qui séparent la charmante banlieue résidentielle où réside Arianne Smith du centre-ville où se trouvent ses bureaux ont été parcourus en moins de dix minutes. Elle n’a plus qu’à descendre dans la rue et marcher 300 mètres pour rejoindre sa destination.
Le bureau en question, Arianne Smith ne s’y rend que deux ou trois jours par semaine, travaillant de chez elle le reste du temps. En cette année 2039, Providence fait partie des villes moyennes dynamisées par la montée concomitante du travail à distance et du travail indépendant. Elles attirent de nombreux travailleurs qui fuient les grandes métropoles surpeuplées, en quête de loyers moins élevés et d’une meilleure qualité de vie.
Penser l’architecture de demain
Tous les immeubles que longe Arianne Smith durant ses quelques minutes de marche arborent une façade verdoyante. Des murs végétaux ont été installés sur de nombreux bâtiments de la municipalité, afin de faire pousser fruits et légumes produits localement pour les habitants. L’immeuble dans lequel pénètre notre héroïne n’est pas un bâtiment d’entreprise, il s’agirait plutôt d’un espace de travail collaboratif amélioré, largement équipé en technologies innovantes. Dans ce futur pas si lointain, l’économie a été profondément transformée par la baisse progressive du salariat dans la population active. De nouveaux modes d’organisation du travail sont apparus pour s’adapter aux réalités de l’économie du XXIe siècle. Arianne Smith n’est ni totalement indépendante, ni vraiment employée par une entreprise. Elle est membre d’une équipe comprenant une dizaine de personnes, avec qui elle travaille désormais depuis plusieurs années. Cette équipe se compose de jeunes architectes qui se sont donné pour mission de repenser l’aménagement urbain en fonction des nouvelles technologies, en tenant compte des spécificités et cultures locales.
La smart city telle qu’on la pensait encore au début du XXIe siècle, identique dans le monde entier et sans couleur locale, est aujourd’hui une relique du passé. Penser la ville du futur implique de moderniser sans effacer le charme des bâtiments anciens, des coutumes et traditions locales et des mille différences qui font la richesse de l’humanité. C’est la mission dont se sont chargé Arianne Smith et son équipe. Au fil des contrats qu’ils décrochent, ils se greffent à de plus grosses structures, et redeviennent autonomes une fois la mission accomplie. L’équipe entière est une sorte de super-travailleur indépendant, auquel les entreprises font appel comme à un contractant individuel.
Ce n’est toutefois pas pour les retrouver qu’elle se rend au bureau, ses collègues étant répartis pour la plupart à travers tout le territoire américain, voire dans d’autres pays. L’équipe compte même un citoyen d’Atlantis, une cité-état flottante installée au large des côtes californiennes, née des rêves combinés de l’américain Peter Thiel et du japonais Masaki Takeuchi. En 2039, les logiciels sont entièrement pensés pour la collaboration et permettent à des équipes comme la sienne de travailler de concert malgré la distance. Si notre héroïne aime se rendre dans cet ancien entrepôt transformé en espace de travail, c’est avant tout pour la convivialité, le contact humain, et le matériel de pointe qu’elle met à profit pour son activité d’architecte.
L’ère de l’ordinateur holographique
Après s’être servi un thé Oolong, choisi parmi la prodigieuse rangée de bocaux en libre service, Arianne Smith s’installe à l’une des grandes tables en bois où de nombreux individus sont déjà assis malgré l’heure matinale. Son ordinateur diffère considérablement de ceux que nous utilisions en 2019. Adieu, le clavier, la souris, et même l’écran. L’appareil est une simple plaque de verre ultra fine et résistante, sur laquelle se déploie une interface holographique, qu’elle manipule directement avec ses mains. Pour des travaux plus complexes, une paire de lunettes de réalité augmentée permet de générer des formes de grande taille, faisant définitivement basculer l’informatique dans le monde de la 3D. Idéal pour son travail d’architecte. Ce type d’objet connecté a d’ailleurs envahi le bureau du futur : la plupart des travailleurs présents sont équipés de montres intelligentes, de casques de réalité virtuelle et de toutes sortes d’appareils mis au service de la créativité.
Pourtant, presque aucun des individus présents n’est réellement propriétaire du matériel dont il se sert pour travailler. Ainsi, Arianne Smith n’a pas acheté son ordinateur, elle a souscrit un service d’abonnement auprès d’un grand constructeur informatique. Moyennant un paiement mensuel ou annuel, celui-ci lui fournit un ordinateur, qu’il s’occupe de mettre à jour, de réparer si besoin, et qu’il lui change tous les deux ans contre un modèle plus récent. À tout moment, elle peut mettre à jour son offre pour recevoir un appareil plus ou moins performant, accroître la quantité de mémoire disponible sur son ordinateur ou encore commander un appareil connecté supplémentaire, son prélèvement régulier étant alors ajusté en fonction. Jadis cantonné à quelques domaines de niche, comme la presse ou la télévision, le modèle de l’abonnement a aujourd’hui envahi la plupart des domaines de l’économie, et des formules sont offertes aussi bien par les constructeurs automobiles que par les compagnies aériennes ou même les marques de luxe.
Des pizzas imprimées en 3D
Après une matinée de travail, Arianne Smith se dirige vers la cuisine collective pour se restaurer. Elle opte pour une poêlée de légumes fraîchement récoltés sur le mur de l’immeuble, accompagnée d’un filet de daurade grillé au four. À côté de chaque plat, un petit code qu’elle peut scanner avec sa montre lui permet de retracer l’intégralité du cycle de vie du produit. Elle peut ainsi s’assurer du fait que les légumes ont été cultivés sans pesticides, que le poisson n’a pas été pêché dans une zone où cette activité est interdite, ni transporté dans des conditions sanitaires non satisfaisantes. La combinaison de la Blockchain et de l’internet des objets permet cette parfaite transparence de la chaîne de valeur, source de confiance pour le consommateur. D’autres produits frais et locaux sont livrés chaque jour par des drones, massivement employés pour des livraisons effectuées sur de courtes distances depuis que des couloirs aériens spécifiques leur ont été attribués.
Arianne Smith déjeune en compagnie de deux autres habitués de l’espace de travail, des concepteurs de jeu vidéo en réalité virtuelle avec qui elle a sympathisé. L’un d’entre eux déguste un burger, dont le steak a été entièrement fabriqué en laboratoire, tandis que sa collègue a opté pour une pizza imprimée en 3D sur un appareil flambant neuf récemment acquis par le bureau. L’impression 3D est utilisée à toutes les sauces : pour imprimer des produits alimentaires, mais aussi des bâtiments, des voitures, des meubles et divers appareils ménagers. La chaise de bureau dont Arianne Smith se sert lorsqu’elle travaille de chez elle a été imprimée sur commande, après qu’elle a fourni un certain nombre de mesures personnelles à l’entreprise prestataire. La chaise est ainsi étudiée pour épouser parfaitement la forme de son dos et corriger sa posture, mise à mal par une position assise prolongée. Un service sur-mesure et peu onéreux.
Un hologramme pour Quanzhou
Toute à sa discussion avec ses deux amis, Arianne Smith a bien failli manquer l’heure de sa réunion prévue cet après-midi avec son équipe, que son assistant virtuel personnalisé lui a heureusement rappelée avec tact. L’autre avantage de l’espace de travail collaboratif est que l’on y bénéficie de tout un équipement de vidéoconférence à la pointe du progrès, porté par un réseau 7G flambant neuf. Lorsqu’elle se connecte, après avoir passé une paire de lunettes de réalité augmentée, ses camarades sont déjà presque tous là, et, n’était-ce l’allure quelque peu transparente et fantomatique de leur silhouette, elle jurerait qu’ils se trouvent dans la même pièce. Si la majorité de l’équipe parle anglais, elle compte également un Japonais, une Chinoise et un Ukrainien peu familiers avec la langue de Shakespeare. Heureusement, GoogleChat, l’outil de traduction instantanée de Google, traduit les propos prononcés en un clin d’œil, et les conversations sont aussi fluides que si chacun parlait le même idiome.
L’équipe s’est réunie pour discuter d’un gros projet qui vient de leur être attribué par un nouveau client. Il s’agit de construire une attraction culturelle et touristique qui exploite les nouvelles technologies pour rendre l’histoire accessible et ludique, le tout dans la ville de Quanzhou, en Chine. Les coéquipiers, qui se sont mis d’accord pour une œuvre mobilisant les ressources de la réalité augmentée, ont réfléchi chacun de leur côté à différents projets et se retrouvent aujourd’hui pour comparer leurs idées. Mori Botchan, le jeune architecte japonais, commence par présenter à l’équipe un dispositif qui, à l’aide d’un casque de réalité augmentée, appose un filtre sur les bâtiments, les passants et l’environnement, permettant de se balader dans les rues de Quanzhou telles qu’elles étaient à l’époque où Marco Polo l’a visitée. L’équipe applaudit son formidable travail de documentation historique. Vient le tour de Mike Coles, qui, depuis son Oregon natal, leur dévoile sa reconstitution en grandeur nature d’un temple bouddhiste du XIIe siècle. Mais c’est Arianne Smith qui emporte les suffrages avec son projet de statue interactive qui retrace les grands événements des guerres de l’Opium à Quanzhou, à l’aide d’hologrammes grandeur réelle assortis d’une foule de détails historiques.
Ne lui reste plus qu’à réserver un billet pour Quanzhou. Hélas, même en 2039, les vols supersoniques ne se sont pas encore démocratisés, et il faut compter près de 20h de trajet. Ce sera l’occasion de regarder les innombrables films en réalité augmentée qui figurent sur ma liste, songe-t-elle tout en réservant un billet pour le mois prochain.
À quoi ressemblera l’organisation des rendez-vous et réunions dans le futur ? Vous pouvez déjà en avoir un aperçu : découvrez Slash 🙂