Le futur du travail est aujourd’hui un foisonnant vivier d’innovations. Nul doute que dans un avenir proche, le quotidien des travailleurs diffèrera considérablement de celui que nous connaissons aujourd’hui. Pour y voir un peu plus clair, nous vous proposons de faire un petit saut dans le futur.
Nous sommes le jeudi 14 octobre 2038, quelque part dans l’Ouest parisien. Il est tout juste 8h, et Elise Asimov se réveille en douceur, dans un mélange de lumière bleutée, de sons et de parfums évoquant une journée au bord de la plage. Un réveil multisensoriel conçu pour sortir son propriétaire du sommeil au moment opportun. Après une douche rapide pour se remettre les idées en place, Elise Asimov file dans la cuisine prendre son petit déjeuner tandis qu’Hector, son assistant virtuel personnalisé, lui rappelle son programme de la mâtinée.
Hector est une intelligence artificielle universelle, lointain successeur de Siri et d’Alexa. Elise Asimov communique avec lui par la parole, au travers de la multitude d’objets connectés qu’elle possède : téléphone, montre, ordinateur, télévision, thermostat… Elise Asimov avale son café en vitesse. Comme Hector vient de le lui rappeler, elle a une réunion ce matin. Pas le temps de traîner.
Contrairement à ses ancêtres de l’an 2018, Elise Asimov est loin de se rendre tous les jours au bureau. Dans ce futur proche, le travail s’est métamorphosé. La majorité des actifs sont indépendants, et n’ont besoin que de leur ordinateur pour accomplir leur labeur quotidien. La plupart travaillent ainsi depuis leur domicile, ou dans l’un des innombrables espaces de travail collaboratifs qui fleurissent au sein de la capitale et fournissent aux travailleurs tout le confort nécessaire. Grandes tables pour le travail en équipe, petits box individuels, équipements de réalité mixte et augmentée, salles de réunion, espaces détentes riches en canapés, coussins et fatboys, cuisine, salle de sport : rien ne manque pour séduire les travailleurs nomades.
Sur la route du futur du travail
Aujourd’hui, c’est néanmoins dans les locaux de l’un de ses plus gros clients qu’Elise Asimov va passer la matinée. Notre amie est ingénieure spécialisée dans les interactions sociales entre humains et machines. Les entreprises font appel à elle afin de concevoir une expérience utilisateur idéale pour leurs intelligences artificielles. Le client d’Elise Asimov est une grande chaîne d’hôtellerie, qui souhaite mettre en place une ligne de robots-concierges chargés d’assurer le service en chambre. Elise Asimov les aide à peaufiner les derniers détails pour un service client irréprochable, et la réunion du jour doit lui permettre d’exposer ses derniers travaux aux responsables de la multinationale.
Ni une ni deux, Hector calcule l’itinéraire le plus rapide permettant à Elise Asimov de se rendre à bon port, mêlant toutes les options disponibles (transports en commun, taxi, vélo, marche) pour trouver la solution optimale. L’assistant virtuel opte pour Modulor, un taxi du futur, autonome, électrique et partagé, qu’Hector commande pour sa propriétaire en se connectant à l’application correspondante. Quelques minutes plus tard, Elise Asimov grimpe dans le taxi, qui l’attend au bas de son immeuble.
En centre-ville, la majorité des véhicules individuels ont aujourd’hui été remplacés par ces taxis de demain, à mi-chemin entre bus et voitures traditionnelles. Spacieux, de forme rectangulaire, dotés de grandes baies vitrées, ils accueillent chacun une dizaine de passagers. Tous se rendent dans la même direction : un algorithme regroupe dans chaque module des usagers suivant un itinéraire similaire. Les véhicules sont également de véritables stations de travail mobiles. Ils sont munis de sièges, de tables, de prises, et, bien sûr, d’une indispensable connexion wifi. Depuis 2026, le temps passé dans les transport est d’ailleurs comptabilisé dans le temps de travail.
Certains véhicules sont sponsorisés par les marques. C’est le cas de celui où a pris place Elise Asimov, qui arbore le logo d’une célèbre chaîne de cafés sur sa carrosserie, et sert des boissons chaudes à ses passagers. Notre héroïne sirote un latte macchiato tout en peaufinant sa présentation. Plus écologiques et silencieux, ces taxis permettent de déplacer un même nombre de passagers avec une quantité de véhicules bien plus réduite. Les routes sont donc bien moins engorgées qu’auparavant. La surface dédiée aux routes et au parking a également pu être considérablement réduite, pour faire place à des espaces verts.
L’informatique du futur
L’absence d’embouteillages permet à Elise Asimov de débarquer avec quelques minutes d’avance dans l’entrée de l’immeuble de son client. Grâce à une petite oreillette, Hector lui indique le chemin à suivre pour se rendre à sa réunion : tout droit dans le hall jusqu’à l’ascenseur, dix-septième étage, première à gauche, et tout droit jusqu’à la salle 626. En chemin, Elise Asimov jette un œil distrait aux individus attablés à leurs postes de travail.
En 2038, l’hégémonie de l’écran a petit à petit cédé la place à celle de la réalité mixte. Employés de l’entreprise et freelance indépendants planchent sur de grandes surfaces holographiques en trois dimensions, qu’ils manipulent aisément avec les mains. Bienvenue à l’ère de l’AIR computing, ou « augmented interactive reality computing » (« information de la réalité interactive et augmentée »). Équipés de discrètes lunettes de réalité virtuelle, les travailleurs manipulent fichiers textes, présentations PowerPoint, feuilles de calcul Excel et autres logiciels de design de manière parfaitement intuitive.
Loin d’être tous assis derrière leur bureau, ces travailleurs de demain sont installés dans toutes les positions imaginables. Des chaises de bureau modulables et ergonomiques leur permettent de trouver la posture correspondant le mieux à leur morphologie. Certains travaillent allongés, d’autres en position semi-couchée, d’autres, encore sont tout simplement debout. Les plus sportifs combinent travail et activité physique, à l’aide d’un tapis roulant situé sous leur bureau, qui leur permet de marcher au pas tout en jonglant avec des hologrammes.
Parvenu devant la salle 626, Elise Asimov frappe à la porte et s’installe en compagnie des participants déjà présents. Un assistant l’invite à s’asseoir et lui tend une paire de lunettes de réalité augmentée. En les mettant, notre héroïne se sent quelque peu intimidée. En plus des responsables français, présents physiquement dans la pièce, elle vient de voir se matérialiser les responsables pour l’Amérique du Nord, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-est, ainsi que la directrice générale, qui participe depuis son bureau de Yokohama. Car aucun de ces individus n’est véritablement présent dans la pièce. Elise Asimov les perçoit sous forme d’hologrammes, grâce aux lunettes que lui a tendues l’assistant. Si elle était préparée à rencontrer les pontes de l’entreprise, elle ne s’attendait pas à ce que la directrice générale fasse elle-même le déplacement (façon de parler, bien sûr). C’est donc avec une certaine anxiété qu’elle prépare mentalement son discours durant la phase de présentation.
Jongler avec les fuseaux horaires
Bien que la réunion mêle des participants répartis dans le monde entier, tout le monde est à l’heure. Un petit prodige permis par Julie, l’assistante du groupe hôtelier. Julie n’est pas une personne en chair et en os, mais une assistante virtuelle spécialisée dans la prise de rendez-vous. Elle s’est chargée d’organiser tous les détails de la réunion.
Un second assistant virtuel, Edouard, se chargera également de prendre des notes au cours des échanges, et enverra à chacun une fiche de synthèse une fois la réunion terminée. Dans une économie mondialisée, où nombre d’entreprises ont leur main d’œuvre répartie dans plusieurs pays et traitent en permanence avec des clients et partenaires répartis sur plusieurs zones géographiques, ce type de service est aujourd’hui largement répandu.
Passée la phase d’introduction, vient enfin le moment, pour Elise Asimov, de présenter ses derniers travaux. Pour déverrouiller son ordinateur, nul besoin d’entrer un mot de passe. Comme tous les appareils de l’an 2038, celui-ci contient un logiciel qui recourt à l’intelligence artificielle pour collecter et analyser différentes données motrices, comprenant la manière dont Elise Asimov se déplace, celle dont elle tape sur le clavier, se tient sur sa chaise de bureau, ainsi que ses expressions faciales. À partir de ces différentes données, le logiciel est capable d’identifier en un clin d’œil avec certitude si c’est bien Elise Asimov qui tente d’ouvrir son ordinateur, et de lui accorder ou refuser l’accès en fonction. Une fois identifiée par le logiciel, notre héroïne entame son exposé.
La présentation PowerPoint projetée sur fond blanc n’est plus qu’une lointaine relique du passé. Pour appuyer ses propos, Elise Asimov emploie des structures holographiques, que tous les participants perçoivent à l’aide de leurs lunettes de réalité augmentée. Images, graphiques, diagrammes hauts en couleur se succèdent, à mesure qu’elle jongle avec aisance entre ses slides. Le support de présentation est entièrement collaboratif, les différents participants peuvent en temps réel annoter une slide, poser une question ou un commentaire afin de revenir dessus une fois la présentation terminée, ou proposer de rebondir sur telle ou telle idée. En 2038, la présentation est ainsi passée du cours magistral à l’échange collaboratif.
Les responsables de l’entreprise semblent séduits par ses propositions. Le logiciel humoristique mis au point par Elise Asimov, qui permet au robot de repérer si le client est sensible à l’humour, et, le cas échéant, d’adapter ses plaisanteries au contexte culturel et linguistique du client, semble particulièrement emporter les suffrages. On décide donc d’organiser une journée de séminaire entre Elise Asimov et les différents ingénieurs chargés de la conception du logiciel d’intelligence artificielle des robots concierges. Pour cela, on fait appel à Érasme, qui, vous l’aurez deviné, est lui aussi un assistant virtuel.
Érasme est une sorte d’encyclopédie du savoir pour l’entreprise, qui détient l’accès à la base de données géante rassemblant toutes les informations sur le personnel, les structures managériales, les finances, les fiches des ressources humaines, et navigue avec aisance parmi cette vague d’informations. En un clin d’œil, Érasme identifie l’ensemble des ingénieurs concernés et transmet leurs informations à Julie, qui les contacte afin d’organiser le séminaire. La réunion touche à sa fin, Elise Asimov quitte le siège de son client, le sourire aux lèvres. Elle achète un sandwich à un commerçant qui, lui, n’est pas un robot. Le reste de sa journée s’annonçant plutôt calme, elle décide de rentrer à pieds par les tuileries. Mais une averse l’oblige à se réfugier sous un passage. « Les temps changent, demeure le climat parisien. » songe-t-elle, fataliste, en égouttant son parapluie, qui, lui, n’a pas changé avec le temps.