Les récents progrès de l’intelligence artificielle font aujourd’hui craindre la mise au chômage programmée d’une large partie de la population par des robots. Pourtant, de nombreuses entreprises opérant dans le secteur prouvent que les machines ont vocation à travailler avec les humains plutôt qu’à les remplacer.
Samedi 27 mai, le logiciel AlphaGo, conçu par Google, s’est imposé pour la troisième fois face au meilleur joueur du monde, le chinois Ke Jie. Jeu de plateau ancestral, réputé pour sa complexité, le go a longtemps été considéré comme trop difficile pour un ordinateur, le nombre de combinaisons possibles étant bien plus grand qu’aux échecs. AlphaGo avait déjà créé la surprise l’an dernier en s’imposant face à l’un des meilleurs joueurs du monde, le coréen Lee Sedol. En battant à plate couture Ke Jie, trois manches à zéro, le logiciel a désormais définitivement fait preuve de sa supériorité. Certains, en écho à la théorie de la Singularité, défendue notamment par l’entrepreneur et futuriste américain Ray Kurzweil, y voient la preuve qu’aucune tâche n’est insurmontable pour l’intelligence artificielle, et qu’elle finira par dépasser l’intelligence humaine dans tous les domaines.
Dans le monde du travail, cette idée soulève de nombreuses inquiétudes. Ainsi, on ne compte plus les études annonçant la mise au chômage technique d’une plus ou moins grande proportion de la population active par les robots. L’une des plus connues est celle des économistes Frey et Osborne. Parue en 2013, elle affirmait alors que 47% des emplois américains seraient menacés de disparition au cours des vingt prochaines années. D’autres études annoncent l’envolée des taux de chômage, ceux-ci devant inéluctablement atteindre les 50%, voire 75%, à mesure que les humains deviendront obsolètes face aux machines. Cette inquiétude se reflète dans la création artistique de notre époque, à travers des séries dystopiques comme 3% ou Tripalium, qui décrivent des sociétés futures très inégalitaires où seuls quelques privilégiés ont un travail, tandis que les autres vivent dans la misère la plus noire. D’importantes figures de la Silicon Valley tirent également la sonnette d’alarme : l’entrepreneur Elon Musk, fondateur de Tesla et de Space X, exprime ainsi régulièrement ses craintes quant aux risques de chômage de masse posés par les machines.
Rowan Trollope, vice-président du département Internet of Things (Internet des objets) de CISCO Systems, se montre bien plus optimiste. Selon lui, s’il est relativement facile de prévoir quels emplois vont être détruits par le progrès technique, il est en revanche bien plus ardu d’imaginer quels nouveaux métiers vont être créés du même coup. « En tant que fan de science-fiction, j’aime citer la phrase de Spock, dans Star Trek : “En observant l’histoire cosmique, on réalise qu’il a toujours été plus facile de détruire que de créer.” Qui aurait, par exemple, pu prévoir le boom de l’industrie du jeu vidéo ? Ou encore le fait que des écrivains et scénaristes seraient aujourd’hui recrutés pour écrire les dialogues des assistants virtuels ? » s’interroge-t-il.
Exosquelettes et bras robotiques
En outre, de nombreux robots sont aujourd’hui conçus pour travailler en collaboration avec les humains, plutôt que pour les remplacer. « Faire en sorte que robots et humains puissent travailler ensemble est l’une des lignes directrices de l’industrie robotique. » affirme Andra Keay, managing director de Silicon Valley Robotics, un groupe industriel spécialisé dans la conception et la commercialisation de robots. Selon elle, la collaboration peut s’avérer particulièrement fertile dans la sphère industrielle, notamment parce que la technologie est aujourd’hui suffisamment mûre pour offrir un haut niveau de sécurité. « Bras robotiques et plateformes mobiles sont aujourd’hui suffisamment sécurisés pour travailler en harmonie avec des humains, ce qui est nouveau. Ils n’ont plus besoin d’être maintenus dans un espace séparé. »
On voit ainsi se multiplier les applications mettant la machine au service de l’humain. Installée à San Francisco, l’entreprise Carbon Robotics commercialise un bras robot à destination des chaînes de montage et manufactures. L’entreprise entend démocratiser l’usage de cette technologie en levant deux freins importants à l’adoption. « 90% des tâches qui pourraient aujourd’hui être automatisées sont encore effectuées à la main, car les outils disponibles sont trop chers et complexes à utiliser. » affirme Rosanna Myers, CEO et cofondatrice de Carbon Robotics. « Aujourd’hui, si vous souhaitez automatiser une tâche sur votre ligne de montage, il faut embaucher un contractant capable de programmer le robot et de former les employés à son utilisation. En outre, de nombreuses entreprises de robotique ont leur propre langage de programmation, qu’il est nécessaire de maîtriser pour utiliser leurs produits. » Le bras robotique commercialisé par l’entreprise, conçu pour assister les ouvriers dans leur travail, peut être manipulé directement par eux. « Nous utilisons la vision par ordinateur afin de retirer les principales difficultés liées à la programmation. Ainsi, il n’est pas nécessaire d’avoir des connaissances dans ce domaine pour s’en servir. »
Mettre la machine au service de l’humain constitue également le credo de Russ Angold, fondateur d’Ekso Bionics. Cette entreprise localisée dans la baie de San Francisco développe un exosquelette destiné aux travailleurs qui opèrent à longueur de journée dans des positions inconfortables ou physiquement éprouvantes, afin de diminuer la fatigue et le risque de blessures. « L’idée est d’accroître l’endurance des travailleurs, dans de nombreuses industries où le labeur peut s’avérer particulièrement pénible. Cela inclut notamment toutes les activités qui demandent aux ouvriers de travailler au-dessus de leur tête et avec des objets lourds, comme la construction automobile, les services techniques de l’aviation et le bâtiment, où de nombreux travaux sont effectués au plafond (électricité, plomberie, système anti-incendie, etc.). L’objectif est de rendre le travail moins pénible et de réduire le risque d’accident. Les blessures à l’épaule, typiques de ce genre d’activité, représentent ainsi l’une des blessures les plus répandues aux États-Unis. » Selon lui, en plus de maintenir les travailleurs en bonne santé, cette technologie permet également à des individus qui n’auraient autrement pas l’endurance physique nécessaire de faire carrière dans ce type de métiers, qui connaissent souvent un déficit de main d’oeuvre. Tout comme Rosanna Myers, il met l’accent sur l’importance de proposer une technologie facile d’emploi, ainsi que sur la complémentarité entre les capacités de l’homme et celles de la machine. « L’exosquelette est très simple d’utilisation et ne nécessite aucune formation préalable. Il permet de combiner l’endurance et la force physique de la machine à la capacité des humains à prendre rapidement des décisions et à s’adapter en fonction du contexte. »
L’entreprise Fetch Robotics a de son côté mis au point un robot autonome conçu pour opérer dans les entrepôts. Là encore, la collaboration est un élément clef : le robot s’occupe de déplacer les objets lourds, travail pénible et dangereux pour les humains, tandis que ces derniers transportent les produits du robot vers les étagères (et inversement), décident quels produits déplacer, assurent la surveillance et la maintenance des robots… « Le travailleur sélectionne l’objet qu’il souhaite déplacer, le pose sur le robot et lui indique le lieu où il doit le transporter à l’aide d’un écran tactile intégré à la machine. Nous avons passé beaucoup de temps à nous assurer qu’il soit aussi simple que possible à utiliser, y compris pour les individus n’ayant aucunes connaissances en robotique. » a expliqué Melonee Wise, CEO de l’entreprise, lors de la dernière édition de l’événement Collision, à La Nouvelle-Orléans.
Du costume de groom à la blouse blanche
Mais les possibilités de collaboration entre humains et machines ne se cantonnent pas aux travaux industriels et logistiques. Les robots peuvent également jouer le rôle de concierges ou de conseillers, comme l’illustre le cas du robot Pepper, de l’entreprise franco-japonaise SoftBank Robotics. Ce dernier est notamment conçu pour accueillir et guider les clients dans les magasins. Il est muni d’une tablette permettant de se renseigner sur les caractéristiques des différents produits proposés en boutique. Pepper joue en quelque sorte le rôle d’un standardiste, traitant les questions les plus basiques des clients pour permettre aux vendeurs de se concentrer sur les demandes et conseils requérant leur expertise. « Pepper est un robot aux fonctions assez simples, qui ne peut en aucun cas remplacer un être humain mais est capable de fournir une assistance et de procurer de l’information aux clients. » a ainsi expliqué Rodolphe Gelin, directeur de l’innovation chez Softbank Robotics, à Collision. « Par exemple, la SNCF a installé Pepper dans plusieurs gares, où il peut renseigner les usagers sur des questions d’ordre général, du type “Où est la boulangerie la plus proche ?”, ou encore “Où puis-je boire un verre en attendant mon train ?” autant de requêtes que les agents SNCF n’ont pas le temps de traiter et qui permettent aux usagers de passer un meilleur moment. » Le robot Relay, de l’entreprise Savioke, a quant à lui pour mission d’assurer le service de chambre dans les hôtels. « L’objectif est de permettre aux employés de l’hôtel de fournir un meilleur service grâce à l’assistance du robot. Relay est conçu pour transporter des objets depuis l’accueil jusqu’aux chambres : la personne située à l’accueil les lui confie, et le client les récupère à la porte de sa suite. Cela permet au service de chambre d’être bien plus rapide et de satisfaire davantage de clients à la fois. » a détaillé Tessa Lau, CTO de l’entreprise, à Collision.
Les possibilités sont également riches dans le secteur médical, avec toujours l’idée d’automatiser un certain nombre de tâches répétitives et fastidieuses pour permettre aux humains de se concentrer sur les activités où ils brillent le plus. Selon Andra Keay, le transport d’échantillons sanguins et de prélèvements de tissus dans les hôpitaux gagnerait par exemple à être automatisé. « Ces échantillons doivent être transportés avec la plus grande précaution, dans la mesure où ils doivent arriver à bon port en parfait état, et ce sont souvent des médecins qui se retrouvent à faire d’incessants allers-retours dans cette optique. Si le transport était effectué par des robots, ils pourraient passer davantage de temps sur leurs analyses ou auprès des patients. De même, combien de temps un pharmacien passe-t-il à faire du rayonnage, un chercheur à ranger et classer ? » Carbon Robotics voit également des applications fructueuses pour son bras robotique dans la recherche médicale. « La majorité de la recherche en laboratoire est aujourd’hui effectuée de manière manuelle, les chercheurs qui conçoivent l’étude et analysent les résultats passent aussi beaucoup de temps à déplacer des échantillons, remplir et vider des tubes, etc. Les raisons pour lesquelles ces tâches n’ont pas été automatisées sont les mêmes que dans l’industrie, coût excessif et difficultés d’usage. En outre, les défis à résoudre pour le robot sont étonnamment similaires : attraper et relâcher des objets, les déplacer, sélectionner les mouvements les plus efficaces, éviter les obstacles… » affirme Rosanna Myers.
La chercheuse Maja Mataric, de l’University of Southern California, a quant à elle conçu des robots capables d’aider les patients en période de réhabilitation. Ils sont chargés de les assister dans leurs exercices de remise en forme quotidiens, à leur domicile et durant plusieurs heures. Les patients bénéficient ainsi d’un accompagnement et d’une source de motivation que le personnel médical ne peut assurer, faute de moyens suffisants. En retour, les professionnels de la santé peuvent se concentrer sur les patients ayant le plus besoin d’aide. La réhabilitation est un domaine dans lequel opère également l’exosquelette conçu par Ekso Bionics. « La répétition est ici un élément clef de la guérison. Or, grâce à l’exosquelette, un patient cherchant à retrouver l’usage de ses jambes peut effectuer une centaine de pas quotidiens, contre une dizaine en temps normal, ce qui lui permet de récupérer bien plus rapidement. » explique Russ Angold. La jeune pousse Sense.ly propose de son côté un assistant virtuel au service des patients atteints de maladies chroniques, qui permet aux médecins de surveiller plus efficacement chaque patient, de repérer les cas nécessitant une intervention et de dégager du temps libre pour établir du contact humain.
Autant d’exemples montrant que le robot n’a pas vocation à être l’ennemi du travailleur, et peut au contraire être mis à son service. Et je ne vous parle même pas des assistants virtuels à la prise de RDV 🙂
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Crédit photo : Softbank Robotics